Les couloirs du lycée étaient clairs et remplis
de centaines de casiers en métal disposés le long des murs. Certains d'entre
eux semblaient encore neufs, d'autres étaient défoncés, la tôle déformée ou les
portes taguées de gribouillis illisibles.
Nathaniel marchait devant moi d'un pas assuré, la
tête haute. De lui se dégageait une assurance certaine. J'imagine qu'être
délégué principal de tous les élèves du lycée n'était pas une tâche facile et
qu'il fallait des épaules solides pour tenir ce poste. Plusieurs doubles portes
menaient apparemment à des escaliers pour accéder aux salles de classe des
étages supérieurs. Le bureau de la directrice quant à lui, comme toute la
section administrative de l'école, était situé au rez-de-chaussée.
- Alors? me demanda-t-il, me faisant
sortir de mes pensées.
- "Alors" quoi?
- Tu trouves ça comment?
- ... Honnêtement?
Il étouffa un petit rire:
- Oui honnêtement.
- Hé bien... Je trouve ça un peu
"aseptisé".
- A ce point?!
J'essayais de me rattraper histoire de ne pas
passer tout de suite pour un énergumène dégoûté de tout. Ce que j'étais.
- Ben tu sais, c'est ce que j'ai
reproché à tous les établissements scolaires dans lesquels j'ai mis les pieds
jusqu'à présent, et aucun n'a dérogé à la règle pour le moment désolée. Il n'y
a que l'extérieur de vraiment agréable de mon point de vue.
- Eh bien, ils ne mentaient pas
alors les gens qui parlaient de toi, répondit-il.
Je levais un sourcil:
- Les gens? Quels gens? Qui t'a
parlé de moi?
- Personne concrètement, en tant que
DP* (Délégué Principal) j'ai accès aux dossiers de tous les élèves de cette
école. Et en tant que nouvelle élève, j'ai parcouru le tien pour savoir à qui
j'avais "affaire".
Voilà qu'il commençait à prendre l'intonation de
ces foutus médecins et psychologues qui m'avaient suivis durant mon enfance.
- Et alors?
- "Alors" quoi? Sourit-il.
- Un problème avec la personne en
face de toi à présent?
Nathaniel ouvrit des yeux ronds. Mon visage
renfrogné et le ton énervé de ma phrase l'étonna. Il avait la main posée sur la
poignée d'une porte noire sur laquelle était écrite:
"Bureau du Proviseur, prière
de frapper avant d'entrer"
- Pas... Pas du tout, bafouilla-t-il
tout en frappant à la porte, je ne faisais qu'une remarque...
- Hé bien la prochaine fois tu
apprendras à utiliser des pincettes avec les gens que tu ne connais que depuis
5 minutes, et quand il s'agit de moi surtout, abstiens-toi tout bonnement!
Il resta coi et finit par ouvrir la porte quand
la secrétaire l'y invita. Il m'annonça pour qu'elle transmette le message à sa
supérieure. Elle utilisa un interphone, j'entendis la voix de la directrice en
sortir:
- Faites-là entrer dans mon bureau,
invitez Nathaniel à la suivre.
- Très bien, répondit la secrétaire.
C'est par-là, m'indiqua-t-elle en pointant une porte à sa gauche.
Nathaniel, toujours devant, me devança et ouvrit
la porte en bois massif. Le bureau de la directrice jurait avec ce que je
venais de voir du lycée. On se serait cru dans une vieille bibliothèque ou une
maison très ancienne des années 50. Les murs étaient en bois avec des
tapisseries vert émeraude agrémentés de motifs végétal. Ici pas de lumière
brute. De fins rideaux étaient tirés sur l'immense fenêtre au fond de la pièce
et de petites lampes murales disposées ça et là offraient une lumière tamisée
assez chaleureuse.
- Ça sent pas bon, pensais-je.
Cette atmosphère ne m'inspirait pas. Elle se
voulait rassurante mais comme les tapisseries aux murs, ce n'était qu'une
façade pour moi. La directrice se trouvait derrière son bureau dans un tailleur
rose pâle qui me rappelait les vieux ensembles Chanel très en vogue à l'époque.
Elle griffonnait quelque chose et sans lever les yeux, s'adressa à nous:
- Nathaniel, je vous remercie
d'avoir pris sur votre temps de cours pour effectuer cette tâche pour
moi, je suis toujours très occupée comme vous le voyez.
Ce mot tâche résonna dans sa bouche d'une
façon qui m'agaça comme si il m'était adressé directement.
- Ça fait partie de mon travail
Madame, répondit-il.
Elle finit par relever la tête et lui adressa un
sourire:
- Dans ce cas, je vous prierai
d'attendre dans le bureau de la secrétaire que j'en ai fini avec votre nouvelle
camarade de classe pour que vous puissiez la conduire en cours avec vous par la
suite
- Bien Madame.
Et il s'éclipsa en refermant la porte. Je restais
debout devant l'imposant bureau, en attendant que la directrice daigne bien
m'accorder un peu de son temps. Elle finit de griffonner 3 feuilles de papiers,
ce qui lui prit bien 5 minutes pendant lesquelles elle ne m'adressa pas un mot,
avant de croiser les doigts devant elle après avoir reposé son stylo et d'enfin
commencer à me parler. Un sourire s'afficha sur son visage mais rien à voir
avec celui qu'elle venait d'adresser à Nathaniel quelques minutes auparavant.
Non, celui qu'elle colla sur sa face rondouillarde était on ne peut plus faux.
- Bien... Mademoiselle...?
- Redfield. Cyrielle Redfield. Répondis-je
sèchement.
- Vous ne voulez pas vous assoir que
nous discutions de votre situation? fit-elle en m'indiquant un siège, son
sourire dégueulasse toujours accroché aux lèvres.
- Je suis très bien debout, merci.
Son sourire s'effaça sur le champ et elle croisa
de nouveau ses doigts.
- Pas de temps à perdre
n'est-ce-pas? Ça tombe bien, je n'ai pas très envie d'en perdre avec vous non
plus.
Voilà ce à quoi je m'attendais d'elle depuis le
début.
- Nous allons donc essayer de rester
courtoises vous et moi, même si je sais de part vos antécédents que ce ne sera
pas facile pour vous. L’Inspection Académique accorde beaucoup d'importance et
d'intérêt pour votre cas c'est pour cela que vous êtes aujourd'hui dans MON
établissement...
Je bouillonnais intérieurement mais m'efforçais
de me contenir. Elle faisait les 100 pas derrière son bureau sans me regarder:
- ... malgré les réticences
premières que j'ai pu soulever lorsque l'on m'a confié votre dossier.
Seulement, j'ai certains, comment dirais-je... Avantages à vous avoir sous ma
houle aussi si VOUS faites des efforts et que vous vous tenez comme une
personne civilisée ici, il ne devrait pas y avoir de soucis et nous y
trouverions toutes deux notre compte. Vous ne désirez pas vous retrouver sous
tutelle encore une fois avec tous les inconvénients que cela sous-entend?
Son foutu sourire réapparu quand elle se retourna
vers moi.
Cette vieille harpie me prenait pour un faire-valoir. Si un quelconque inspecteur
se pointait et voyait que j'étais bien rangée et soumise, cela lui assurerait
éloges et promotions à n'en pas douter.
- Des efforts pour m'intégrer j'en ferai, ne vous en faites pas
pour ça... répondis-je en la toisant.
Mais j'en redoublerai pour la pourrir et la faire redescendre sur terre le
moment venu. Elle croit me connaître parce qu'elle a lu les rapports médicaux
de ces dernières années? Pour le coup, j'ai de la chance que l'anniversaire de
ma majorité n'arrive que dans un mois. En tant que mineure, il y a certaines
parties de mon dossier qui sont encore classées sous le "secret
médical". Mais ce n'est que le haut de l'iceberg. Si elle savait... Je
souriais.
- Y a-t-il quelque chose d'amusant dans ce que je viens
d'énoncer? grogna-t-elle.
- Non.
- Non "MADAME". Dans cette école, la politesse
commence par là.
Connasse, elle commençait sérieusement à me taper sur le système.
- Non Madame.
Son sourire s'élargit de satisfaction. Elle continua son discours:
- Vous vous plierez au règlement intérieur de ce lycée et
respecterez chacune de ses règles ainsi que son personnel éducatif. Des
questions?
Je secouai la tête, je ne voulais pas encore lui accorder la satisfaction de
lui lécher les bottes.
- Une dernière chose. Je passe outre tous vos... (Elle eut une
grimace de dégoût) piercings mais vous devrez faire un effort vestimentaire.
J'estime déjà que vous avez de la chance d'atterrir dans une école qui n'a pas
d'uniforme obligatoire donc rendez-vous un peu plus présentable à l'avenir. Et
cela commence dès demain. Vous pouvez disposer.
Et elle retourna s'asseoir derrière son bureau vaquer à ses occupations.
Je fis demi-tour et sortis. Nathaniel m'attendait dans le couloir.
- Comment ça s'est passé? demanda-t-il.
- Je vais difficilement m'entendre avec cette espèce de
connasse, voilà mais je ne m'attendais pas à en faire ma meilleure amie dans
tous les cas.
Il me regarda un court instant puis rigola tout en se remettant à marcher.
- Qu'est ce qu’ il y a de drôle?
- Pas grand-chose, c'est toi qui me fais rire. On peut dire que
tu es franche comme nana.
- Ce n'est pas parce que je suis asociale que je n'ai pas de
langue. Je ne parle pas souvent aux gens mais ça ne m'empêche pas de dire ce
que je pense quand j'estime que c'est nécessaire.
Il rit à nouveau.
- Tu as raison. Excuse-moi pour mon indélicatesse de tout à
l'heure, je ne voulais pas te blesser.
- T'en fais pas pour moi, j'ai l'habitude. Mais toi tu devrais
te détendre, t'es pas devant la dirlo. C'est quoi toutes ces phrases
alambiquées? On a le même âge que je sache, relax.
- Je suppose que c'est parce que je travaille trop dans ce
lycée en sa compagnie.
Je soupirai:
- T'es sympa mais tu m'as l'air désespérant comme gars.
Il eut un éclat de rire auquel je ne m'attendais pas. Bon au moins, ma
première rencontre dans ce lycée n'était pas aussi catastrophique que ce que je
m'étais imaginée. Nous avons monté les marches d'un étage pour arriver devant
une salle de classe. La porte possédait une petite fenêtre dans laquelle on
pouvait voir ce qui se passait à l'intérieur. Nathaniel y frappa et le
professeur lui intima d'entrer. La classe contenait approximativement une
trentaine d'élèves de tout genre.
- Ah Nathaniel c'est vous! fit le professeur. Vous nous confiez
donc mademoiselle... (il consulta sa liste) Redfield c'est bien ça?
- Oui, répondis-je.
- Bienvenue! Je suis Monsieur Faraize votre professeur d'Histoire-Géographie. J'espère que vous vous
plairez dans notre lycée.
Les élèves s'étaient tous tournés vers moi à mon arrivée, me jaugeant. Rien
d'inhabituel pour moi de ce côté-là.
- Bon les places sont toutes prises hormis celle au fond à
droite, aux côtés de Castiel. Installez-vous, nous allons poursuivre notre
cours. Nathaniel, rejoignez votre place je vous prie.
Il s'exécuta et j'allais en faire autant quand je vis qui était le fameux
"Castiel" qui allait être mon partenaire de table pour les longs mois
à venir.
- Le mec de la serre... murmurais-je.
- Un problème Mademoiselle? S’enquit le professeur.
Je vis que je m'étais planté entre les rangées de table sans bouger. Castiel
me sourit, je "fronçais" des paupières légèrement.
- Non.
- Dans ce cas asseyez-vous et poursuivons si vous le voulez
bien.
Et il se tourna vers le tableau noir. Je m'assis donc, enlevais mon perfecto
et commençais à déballer mes affaires sur la table. Petit à petit, les autres
élèves se tournèrent également vers le tableau. Tous. Sauf Castiel qui, adossé
au mur restait tourné vers moi, son sourire aux lèvres. Sans le regarder, je
demandais:
- Qu'est-ce-que tu regardes exactement?
- Je ne m'attendais pas à te revoir ici... Cyrielle.
Je me tournai cette fois vers lui, sourcils froncés et agacée par son
comportement.
- Revoir? Je n'te connais pas, je t'ai jamais vu. Et puis d'où
tu connais mon nom?
- Ne joue pas à ça avec moi, dit-il en étouffant un rire. Je
t'ai vu me reluquer tout à l'heure près de la serre et quand l'autre blondinet
à braillé ton nom, je me suis douté que c'était le tien. Satisfaite?
- Te reluquer? Non mais t'es pas sérieux là ?! Ne prends
pas tes désirs pour des réalités.
- Les tiens tu veux dire? répondit-il, taquin.
Je le regardais de haut en bas.
- Ça y est... Je vois...
- Tu vois quoi?
- Je vois quel genre de type tu es.
Il se pencha vers moi.
- Et quel genre de type je suis?
- Le genre de petit branleur égocentrique et imbu de sa
personne qui est juste assez mignon pour s'attirer toutes les écervelées de ce
bahut et d'en tirer satisfaction en entretenant ce mythe de rocker je m'en
foutiste et dragueur alors qu'au fond de lui se cache un être probablement
incroyablement seul et incapable d'éprouver des sentiments sincères sans que ça
lui foute une trouille bleue.
Il resta sans voix.
- Alors? Satisfait? Ajoutais-je.
Il se ré-adossa au mur et pencha la tête sur le côté tout en continuant de
me regarder.
- Et qu'est-ce qui te fait dire ça? me demanda-t-il.
Cette fois-ci, c'est moi qui me penchai vers lui et me suis également
rapprochée de son visage. Il eut un léger mouvement de recul et je lui
soufflai:
- Parce que tu es comme moi.